« Les travailleurs de l'ombre » : Laurent Winkler, médecin de l'équipe de France de judo
Durant tous les Jeux Olympiques, France Judo vous propose d'en apprendre plus sur les travailleurs de l'ombre : ces acteurs qui contribuent en coulisses au succès des judokas français. Pour ce premier épisode, entretien avec Laurent Winkler, médecin de l'équipe de France de judo. Après une spécialisation en médecine du sport, puis un poste de chef de clinique au CHR d'Orléans, il rejoint l'équipe de France de judo en 2016. Retour sur cet entretien.
1. Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Laurent Winkler, médecin du sport. D’abord judoka ceinture noire en Alsace, j’ai ensuite poursuivi des études de médecine générale à Paris puis je me suis spécialisé en médecine du sport. En 2015, alors chef de clinique au CHR d’Orléans, on me confie la prise en charge du suivi médical du pôle France d’Orléans. Dès 2016, j’assure la surveillance de compétitions nationales et celle des équipes de France de judo lors de l’International Paris Training Camp et des Championnats d’Europe juniors avec des judokas comme Alpha Djalo ou Marie-Eve Gahié.
Je suis ensuite devenu adjoint du département médical de l’INSEP où j’ai eu la responsabilité du Pôle judo dès 2017. En parallèle de ces missions, j’ai été médecin de l’équipe de France junior de natation course avec un certain Léon Marchand et de l’US Ivry Handball en première division. En 2020, à la suite du départ de mon prédécesseur, je suis devenu médecin de l’équipe de France de judo.
Le staff médical de l’équipe de France de judo est composé d’une dizaine de masseurs-kinésithérapeutes et d’une nutritionniste-diététicienne. Je fais également appel à des confrères médecins du sport pour accompagner les judokas cadets et juniors sur les grands championnats.
2. En quoi consiste votre métier au quotidien ?
Je coordonne une équipe pluridisciplinaire fédérale de masseurs-kinésithérapeutes et de nutritionniste. Je m’appuie aussi sur les professionnels présents à l’INSEP, que ce soit les psychologues, les radiologues, la gynécologue, les dentistes ou les scientifiques. Au quotidien, mon bureau de consultation est installé dans le dojo. J’y reçois les judokas de l’équipe de France pour les problématiques virales courantes, la traumatologie mais aussi pour l’accompagnement psychologique. Nous travaillons sur divers protocoles de rééducation et de tests fonctionnels de retour au sport mais sur cette Olympiade, nous avons beaucoup insisté sur la prévention et la récupération (nutrition, sommeil) ce qui a nettement fait diminuer l’incidence des blessures en équipe de France.
Je suis présent avec les judokas lors des grands championnats (Europe, Monde, Masters, Paris Grand Slam, Jeux Olympiques). L’objectif est qu’ils puissent s’exprimer sans limite physique et mentale lors de leur compétition. Avec la nutritionniste, nous assurons un accompagnement lors du régime. Les masseurs-kinésithérapeutes veillent à la préparation optimale du corps jusqu’aux dernières minutes avant l’entrée sur le tatami. Il arrive que les judokas présentent des problématiques virales ou traumatologiques la veille de la compétition, je les prends alors en charge médicalement.
Lors des combats, je suis placé au bord de la zone de compétition pour intervenir en cas de blessure ou de saignement. Je suis parfois amené à stopper la compétition d’un judoka pour préserver son intégrité physique en cas de blessure grave ou de commotion cérébrale. En cas de blessures, j’assure ensuite le suivi et la prise en charge jusqu’au retour en France, à l’INSEP où les sportifs peuvent rapidement passer des examens complémentaires dès leur arrivée.
3. Pouvez-vous nous parler des blessures les plus courantes chez les judokas et de la façon dont vous les traitez ?
Nous avons mené des études épidémiologiques à l’entrainement et en compétition ces dernières années. Les articulations de la cheville, du genou, de l’épaule et le bas du dos sont les principales zones concernées. Notre premier objectif est d’éviter des blessures de ces zones en prévention primaire. Sur la base de bilan médicaux et para-médicaux, nous proposons aux judokas des programmes de prévention individualisés. En cas de blessures, l’objectif est d’être le plus précis possible en termes de diagnostic puis d’initier une rééducation très précoce. Nous avons par ailleurs instauré des protocoles nutritionnels favorisants la cicatrisation. Dans certains cas, un accompagnement psychologique est indiqué. Surtout, il faut guider l’athlète, les entraineurs et les préparateurs physiques pour que les judokas restent le plus athlétique possible pour faciliter leur retour rapide sans compromettre la cicatrisation de la zone lésée.
4. Quelle est l'importance de la récupération dans le judo et quelles techniques utilisez-vous pour faciliter ce processus ?
La récupération joue un rôle important dans la prévention des blessures et dans la performance des athlètes. Les deux piliers majeurs sont le sommeil et la nutrition. Des interventions régulières de spécialistes visent à sensibiliser les judokas sur ces sujets. En cas de pathologie dans ces domaines, j’accompagne les sportifs pour assurer leur bonne santé, parfois en collaboration avec les psychologues et les scientifiques de l’INSEP. Nous avons également insisté sur l’accompagnement des femmes au cours de leurs cycles avec des interventions d’éducation visant à autonomiser les sportives sur ces sujets, notamment dans l’optique de limiter les symptômes pré-menstruels qui peuvent nuire à la bonne récupération.
La bonne gestion de la charge d’entrainement et des temps de repos ont également fait l’objet d’un travail approfondi. À la limite du champ médical, c’est surtout la sensibilisation des entraineurs et des préparateurs physiques qui semble avoir porté ses fruits. La variabilité de la fréquence cardiaque et les temps de récupération enregistrés par cardiofréquencemètre sont fréquemment utilisés.
Enfin, nous nous appuyons sur tous les adjuvants : massages de récupération, bains chaud, bains froids, cryothérapie corps entier, compressions…etc pour faciliter le bien-être des sportifs.
5. Y a-t-il un travail de préparation particulier relatif à vos missions à effectuer juste avant une compétition ? Si oui lequel ?
Avant une compétition, avec le staff médical, nous nous réunissons pour anticiper les besoins de chaque athlète et pour coordonner nos interventions. Nous devons également veiller à l’aspect logistique puisque nous ne devons pas manquer de matériel lorsque nous partons au bout du monde (contentions souples, médicaments, matériel de récupération, produits de nutrition, …etc). L’objectif est d’anticiper toutes les situations et de manquer de rien le moment venu !
6. Quel est votre plus beau souvenir avec l’équipe de France de judo ?
Mon plus beau souvenir reste la victoire par équipe aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2021. Seul dans mon coin au bord du tatami, à côté des arbitres, je me souviens avoir couru pour rejoindre le reste du staff et célébrer tous ensemble ce moment incroyable. Mais j’ai aussi beaucoup de belles histoires en tête, de retours victorieux d’athlètes après des blessures importantes, quelle que soit la compétition. Parfois, il est difficile de ne pas laisser échapper quelques larmes quand on sait quelles épreuves les athlètes ont traversé avant de réussir.
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